De tout et de rien

Voici quelques notes personnelles en réaction à l'actualité et à certains événements de ma propre vie.

jeudi, décembre 18, 2003

Sommes nous encore un pays laïque?

Sommes nous encore un pays laïque ? Quel avenir pour la laïcité ?

La polémique soulevée par le port du voile islamique, la montée des intégrismes religieux à l’extérieur et parfois même au voisinage de nos frontières, les conflits sanglants qu’ils provoquent, ont mis, ces derniers temps, la question de la laïcité au premier plan de l’actualité dans notre pays.
Beaucoup de nos compatriotes estiment que le respect de la laïcité pourrait prévenir voire dénouer, dans bien des cas, semblables polémiques ou conflits, donnant ainsi à la laïcité, du fait des circonstances, une importance que l’on avait peut-être un peu trop oubliée.

Mon propos, dans ce court article, est de présenter ma propre version de la laïcité et d’évaluer dans quelle mesure on peut encore considérer que notre pays est un état laïque, d’examiner aussi quel avenir peut être réservé à la laïcité.
Tâche ardue assurément car la notion même de laïcité est souvent passablement confuse. Sous ce même vocable se rassemblent et parfois s’affrontent des points de vue assez différents. Pour ma part, je ferai mienne la définition qu’en donnent beaucoup de nos dictionnaires, la laïcité étant décrite dans ces ouvrages comme un comportement, dans le domaine de la vie publique, de neutralité et d’indépendance à l’égard de toute confession religieuse.
Pour lapidaire qu’elle soit et nécessairement réductrice, cette définition me paraît contenir l’essentiel.
Ainsi définie, la laïcité n’est pas l’expression d’une hostilité à l’encontre de la religion. Un état laïque doit reconnaître à chacun le droit de pratiquer le culte de son choix. Dans le même temps, il doit faire obligation à tous les membres de l’appareil gouvernemental, aux fonctionnaires et plus généralement à tous ceux qui remplissent des missions de service public de ne pas faire preuve de prosélytisme, de ne pas porter d’insignes religieux de façon ostensible de ne pas conduire leur activité sur la base d’une orientation religieuse, le religieux relevant exclusivement de la vie privée. La laïcité, ainsi conçue est, à l’évidence, porteuse d’une large exigence de tolérance.

On peut comprendre que son exercice puisse contribuer à faire reculer les intégrismes religieux qui conduisent au fanatisme aveugle, à prévenir des dérives communautaristes, à assurer une meilleure cohésion sociale dans des sociétés qui, comme la nôtre, revêtent de plus en plus un caractère pluriethnique et pluriconfessionnel.

Reste à savoir si notre pays, au regard d’une telle conception de la laïcité, est à l’heure actuelle, un pays vraiment laïque.
La façon dont l’actuel gouvernement a réagi à propos du port du voile islamique et plus généralement du port ostensible d’insignes religieux dans les établissements scolaires et hôpitaux publics pourrait incliner à le croire.
L’actuel gouvernement a, en effet, nommé une commission (Commission Stasi) pour étudier le problème de la laïcité et singulièrement la question du port d’insignes religieux à l’école ou dans les services relevant de l’Etat. De plus, qu’une nouvelle loi soit promulguée sur ces questions ou que l’on s’en tienne à la réglementation existante si celle-ci s’avère suffisamment explicite sur ce point, le pouvoir actuel a clairement fait savoir que le port ostentatoire d’insignes religieux ne serait pas toléré, étant entendu que la première démarche doit être, avant toute exclusion, une démarche de dialogue et d’explication.
Assurément, on ne peut, au nom même de la laïcité, que souscrire à de telles vues, d’autant plus que le port du voile n’est pas seulement le signe d’une appartenance religieuse. Il est aussi la marque de l’état de sujétion dans lequel sont tenues beaucoup trop de femmes dans la communauté musulmane. Interdire le port du voile dans l’espace public, ce n’est donc pas seulement faire respecter la règle laïque, c’est aussi aider les musulmanes qui ont entrepris une lutte pour la conquête de leur émancipation.

Cependant, l’ardente focalisation que l’on peut observer sur cette question, qui parfois s’apparente à un véritable battage publicitaire, me paraît suspecte. On peut y voir un moyen de masquer des atteintes autrement plus graves au principe de laïcité.
Il faut certes, s’opposer au port ostentatoire d’insignes religieux à l’école ou dans le cadre d’activités publiques mais le problème de la laïcité dépasse largement cette question et, à y regarder de plus près, on constate, qu’à l’évidence, la laïcité n’a cessé de reculer depuis de longues années. Qu’on en juge :

- Certains hommes politiques affichent de façon ostensible leur appartenance religieuse.
- Des établissements publics dans trois départements, en Alsace et en Moselle, disposent d’un statut qui leur permet, en fait, de fonctionner comme des écoles confessionnelles.
- Les établissements catholiques sont depuis 1959, avec la loi Debré, subventionnés par l’Etat . Ces subventions étant devenues, au fil des ans, de plus en plus généreuses, on pourrait presque dire que, d’une certaine façon, le statut propre aux trois départements évoqués plus haut, a été étendu, au moins partiellement, à l’ensemble des établissements catholiques du territoire national. Cette situation va autoriser les communautés juive et musulmane à réclamer, dans un proche avenir, des subventions qu’en toute justice, on ne pourra guère leur refuser, les école catholiques étant déjà subventionnées.
- La loi de 1905 instituant la séparation de l’Etat et des églises affirmait deux principes fondamentaux. Le premier garantissant la liberté de conscience et de culte est encore observé. Par contre le second stipulant que l’Etat ne doit ni reconnaître ni financer ni subventionner aucun culte est gravement transgressé.
- Dans le même temps, l’école publique ne dispose pas des moyens qui lui permettraient d’assumer ses missions avec une pleine efficacité

Ce recul de la laïcité qu’attestent, entre autres choses, la prolifération grandissante des écoles confessionnelles et l’affaiblissement de l’école publique comporte de graves dangers.
Dans un tel contexte, notre jeunesse ne peut qu’être soumise à des clivages partisans, entraînant des replis plus ou moins sectaires et des attitudes communautaristes parfois agressives. Sur un tel terrain, des antagonismes, des conflits plus ou moins déclarés ne peuvent manquer de se développer, le tout débouchant sur un redoutable recul de l’esprit de tolérance.
Il est, dans le même temps, dommageable, qu’en raison de son affaiblissement, l’école publique ne puisse plus jouer, avec une pleine efficacité, son rôle unificateur. En effet, l’école publique ne divise pas mais rassemble. Elle représente un espace de neutralité et de liberté réunissant des enfants ou des adolescents issus des milieux les plus divers qu’elle est donc, par un tel brassage, capable de former, dans les meilleures conditions, à l’exercice d’une réflexion critique et tolérante.
Bien entendu, il n’est pas question, la laïcité étant indissociable de la liberté de conscience et de la liberté religieuse d’interdire l’existence des écoles confessionnelles. Par contre, il me paraît légitime que ces écoles soient financées, non pas par des fonds publics, mais par les églises dont elles se réclament. Il me paraît non moins légitime d’exiger de l’Etat qu’il accorde à l’école publique les moyens dont elle a besoin pour assumer ses tâches.

On ne peut donc pas décerner au pouvoir actuel pas plus, d’ailleurs, qu’aux gouvernements qui se sont succédé depuis la loi Debré, un brevet de bonne conduite laïque. On ne peut pas, en effet, affirmer, qu’à l’heure actuelle, l’Etat soit libre de toute attache avec les confessions religieuses, que la séparation de l’Etat et des églises prononcée en 1905, soit pleinement respectée.
Tout compte fait, s’il reste vrai que la laïcité est encore vivante dans notre pays par certains aspects, on ne saurait, pour autant, prétendre que la France soit un état pleinement laïque. La laïcité y est, en dernière analyse, toute relative.

Aussi m’apparaît-il nécessaire, en matière de laïcité, d’agir sur deux plans :

? Il me semble urgent d’entreprendre une démarche de reconquête de la laïcité, d’effacer tous les reculs qu’elle a subis, de revenir à l’esprit de la loi de 1905. Ce n’est pas là une démarche rétrograde mais une démarche résolument moderne. Cela permettrait, plus que jamais, à l’heure où notre société, à l’image de beaucoup d’autres, devient de plus en plus multiraciale et multiconfessionnelle, de construire une école publique capable de jouer un rôle pleinement unificateur. Ainsi pourrait-t-on, au delà des spécificités propres aux divers courants ethniques et confessionnels, rassembler les différentes composantes de notre société autour des valeurs fondatrices de la laïcité, gages essentiels de cohésion sociale et paix civile

? Les évolutions de notre société, celles que l’on observe également ailleurs, appellent une réflexion en vue de redéfinir ou d’enrichir la notion de laïcité. A l’heure actuelle, l’école publique, en effet, ne doit pas être seulement libérée de l’emprise du religieux mais aussi de celle de l’économique.
De plus en plus d’entreprises cherchent à s’introduire à l’école. Des stages y sont organisés avec leur concours. Les marque publicitaires, sponsorisant certaines activités, y pénètrent. De grandes entreprises se disent prêtes à financer certains enseignements professionnels ou universitaires. Il est clair que, sous l’impulsion du MEDEF, le grand patronat entend, en France, être partie prenante dans la formation des maîtres, dans la définition des programmes, qu’il vise à imposer des savoirs ou former des mentalités industrielles plus conformes à ses intérêts. Pour lui, l’école ne doit pas avoir pour objectif principal de diffuser des savoirs fondamentaux, d’ouvrir étudiants ou élèves à la culture, de les former à la réflexion et à l’exercice de l’esprit critique, mais de diffuser, avant tout, des savoirs pratiques qui permettraient aux employeurs d’utiliser les jeunes ainsi formés dans des conditions de meilleure rentabilité immédiate.
Il m’apparaît donc indispensable de donner de la laïcité une définition plus large associant à la notion d’indépendance à l’égard du religieux, la notion d’indépendance à l’égard de l’économique et d’inclure cette nouvelle définition dans le cadre de la loi.

Le monde laïque ne doit pas désespérer d’atteindre, par la lutte, ces objectifs. Cependant, dans l’hypothèse même où ces objectifs seraient atteints, l’observation des règles d’une laïcité étant ainsi idéalement conçue pourrait, certes, prévenir certaines tensions, certaines dérives communautaristes, certaines violences mais je doute fort qu’elle pourrait les faire toutes disparaître. La raison en est que ces dérives, ces replis identitaires ne sont pas seulement l’expression de sentiments religieux exacerbés mais aussi et surtout l’expression d’un échec social. Cet échec social qui frappe surtout la communauté musulmane s’incarne dans le chômage, dans les discriminations plus ou moins patentes ou larvées qu’elle subit, dans sa concentration dans des quartiers défavorisés. Il convient, d’ailleurs, de préciser que cet échec social s’étend de plus en plus à d’autres couches de la population.
C’est pourquoi la laïcité ne peut plus, à mon sens, se borner au seul terrain de l’école ou des espaces publics, espaces qu’il faut , bien entendu, plus que jamais protéger de l’intrusion
religieuse ou économique. Le monde laïque doit aussi récuser clairement les politiques libérales n’ayant d’autre objectif que de faire grossir les profits du grand capital. Il doit, à l’inverse, promouvoir celles qui, faisant une part plus généreuse au travail, peuvent permettre de développer le plein emploi et créer les conditions d’une plus grande justice sociale.
Le monde laïque doit-il pour cela se doter de structures politiques ? Doit-il plus simplement démarcher auprès des partis politiques, auprès de l’opinion publique ?
C’est là, sans doute, un objet de débat. Pour ma part, j’inclinerais plutôt pour la seconde option.
Quoi qu’il en soit, cette démarche de reconquête d’une pleine laïcité, cette nécessité d’enrichir la définition de la laïcité, cette nécessité pour la laïcité de s’ouvrir à une réflexion politique plus large, doivent être prises en compte si l’on veut que, demain, la laïcité soit toujours plus vivante et qu’elle participe activement à l ‘édification d’une société plus égalitaire, plus fraternelle, plus respectueuse de toutes ses composantes, socialement plus rassemblée et donc moins exposée aux risques de la violence.
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