De tout et de rien

Voici quelques notes personnelles en réaction à l'actualité et à certains événements de ma propre vie.

vendredi, février 13, 2004

Morale et Politique

Morale et Politique

La récente condamnation d'Alain Juppé, la médiatisation de cette affaire, la stature même du personnage, ont remis à l’ordre du jour, avec un vif éclat, la question des rapports entre morale et politique.

Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que le cas d' Alain Juppé ne constitue, en aucune façon, une exception. Au cours de ces dernières années, un nombre conséquent d’hommes politiques, toutes couleurs confondues, dont certains de haut rang, ont été mis en examen pour des faits plus ou moins graves allant de l’enrichissement personnel à la perception de fonds en provenance d’entreprises en vue d’alimenter les caisses de leur parti, en passant par la création d’emplois fictifs dans les municipalités ou toute autre institution d’état.
Il ne m’appartient pas ici, Alain Juppé ayant fait appel, de porter un jugement sur sa condamnation, de déterminer si la sentence prononcée par le tribunal correctionnel de Nanterre est juste ou non, si les faits reprochés à Alain Juppé ont été ou non grossis. C’est là l’affaire de l’instance d’appel que M. Juppé a saisie.

Par contre, ce qui m’importe ici, c’est de mesurer l’ampleur de ce phénomène de corruption politique, d’examiner les réactions qu’il suscite dans l’opinion, de voir en quoi il est dommageable pour l’avenir de notre pays, d’ouvrir aussi quelques pistes de réflexion en vue de porter remède à ce problème.

Parlant d’opinion, il me paraît utile de distinguer deux types d’opinion, d’une part l’opinion du monde politique lui-même, d’autre part l’opinion du public.
Jusqu’à présent, suite aux condamnations encourues par des hommes politiques, le milieu politique, tous partis confondus, avait fait preuve d’une certaine réserve, d’une certaine modération. Certes, après la condamnation du trésorier du PS, M.Emmanuelli, le Premier Ministre, M.Jospin
avait déclaré que cette condamnation était inique. Certes, M.Emmanuelli avait contesté la sentence prononcée à son encontre, les faits lui étant reprochés ne relevant pas d’un enrichissement personnel mais plutôt de pratiques plus ou moins tacitement tolérés à l’époque. Pour autant, c’est à tort selon moi que l’un et l’autre avaient jugé la justice, donnant ainsi fâcheusement l’impression que les hommes politiques pouvaient se permettre de transgresser les lois. Mais, dans l’ensemble, à quelques exceptions près, dans quelque camp que ce soit, on n’avait pas vraiment malmené l’appareil judiciaire. On s’était presque toujours incliné, sans grande critique, sans grand tapage, devant la décision des juges. On s’était contenté de souligner, chaque fois que possible, que les faits reprochés n’avaient pas entraîné d’enrichissement personnel et que certains de ces faits relevaient de pratiques plus ou moins tacitement tolérées.
Ce qui est nouveau, avec le cas d'Alain.Juppé, c’est moins la vivacité voire la pugnacité de la réaction de la droite classique que l’ampleur et le caractère très orchestré de cette réaction. A droite, c’est unanimement et bruyamment que l’on a contesté la sentence prononcée par le tribunal correctionnel de Nanterre. On l’a trouvé disproportionné, excessif, scandaleux. A l’initiative du Président de la République, une commission a été créée en vue de déterminer si les pressions que les juges auraient subies n’auraient pas eu une incidence sur le jugement rendu, commission dont la légalité ou l’opportunité ont été vivement contestées par le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Tout le monde, dans le milieu en question, a refusé de voir en Alain Juppé un homme ayant transgressé des lois, devant, en conséquence, être soumis aux rigueurs de la justice. Bien au contraire, on l’a hautement et surabondamment louangé, le représentant comme le « meilleur », comme porteur de si hautes lumières que le pays ne saurait se passer d’un tel homme pour assurer son avenir.
Négligeons le côté outrancier d’une telle réaction. Admettons même que les amis de M.Juppé puissent lui apporter un soutien. Il n’en reste pas moins vrai qu’une telle réaction n’est pas acceptable, qu’elle n’est pas démocratique, citoyenne.
Ce type de comportement, observé sous une forme extrême avec le cas Juppé, sous une forme moins unanime et moins tapageuse avec le cas Emmanuelli, doit être dénoncé. Par de tels propos, le monde politique met en péril l’indépendance de la justice, agit comme s’il voulait peser sur les décisions que doivent prendre les magistrats ayant à juger des hommes politiques. Les hommes politiques pouvant faire appel d’un jugement rendu, comme tout autre citoyen, ils devraient se pénétrer de l’idée que c’est aux différentes instances d’appel de déterminer si un jugement doit être ou non corrigé. Une telle attitude n’est pas seulement dangereuse parce qu’elle compromet les garanties d’impartialité qu’une justice démocratique doit offrir à tous les citoyens. Elle l’est aussi parce que, d’une certaine manière, elle délie la classe politique d’un devoir de moralité.

Venons en maintenant à l’autre type d’opinion, l’opinion publique. Elle s’exprime, à mon sens, face à ce problème de corruption politique, d’une façon double et contradictoire.
Beaucoup de gens considèrent que le milieu politique tout entier, aussi bien à gauche qu’à droite, est corrompu. Ils ne voient en lui que des hommes ou des femmes plus soucieux de leurs propres intérêts que de l’intérêt général. Ce point de vue, formulé le plus souvent dans un langage radical, me paraît à la fois injuste et dangereux.
C’est méconnaître qu’il existe dans notre pays des responsables politiques sincèrement attachés à la défense de l’intérêt général. C’est refuser de voir que dans nos mairies, en particulier, mais aussi ailleurs, des hommes ou des femmes se dévouent à la cause des communautés dont ils ont la charge.
Pour ma part, je persiste à croire que ce phénomène de corruption, bien que trop répandu, reste minoritaire et que l’activité politique reste, dans une large mesure, un noble exercice.
Par ailleurs, un tel discours à la fois globalisant et outrancier, n’est pas sans danger .
Tout d’abord, il ouvre la voie à l’extrémisme politique. Il pourrait faire le jeu de quelques aventuriers plus ou moins ouverts à des idéologies totalitaires qui, au nom d’une opération mains propres, ne manqueraient pas l’occasion de mettre en péril la République. L’histoire nous enseigne qu’un tel danger ne doit jamais être écarté.
De plus, ce même discours détourne beaucoup de nos compatriotes de la politique. Certains renoncent au militantisme, d’autres fuient les urnes, beaucoup ne suivent même plus l’actualité, la politique devenant alors l’affaire des seuls initiés. Il en résulte un regrettable abaissement de la qualité démocratique de la vie politique.
L’opinion publique, toujours face à ce problème de corruption politique, se manifeste aussi d’une façon diamétralement opposée. Certains, en effet, font preuve d’une indulgence surprenante. On dirait, qu’à leurs yeux, la compétence des hommes politiques compte plus que leur probité et qu’en conséquence les délits dont ils se rendent coupables ne sauraient être que mineurs. Le soutien que reçoivent ces délinquants politiques ne vient donc pas seulement du milieu politique auquel ils appartiennent. Il vient aussi d’une partie du public. La meilleure preuve en est que certains hommes politiques ayant commis, dans l’exercice de leurs fonctions, des actes infamants, s’étant par exemple enrichis personnellement, ont parfois été réélus alors même que le souvenir de leurs agissements n’était pas effacé.
Pareille complaisance me paraît dommageable sur un double plan.
Tout d’abord, elle tend à répandre l’idée fallacieuse que les meilleurs gestionnaires sont souvent ceux dont la probité n’est pas toujours parfaite. Je nie, pour ma part, que des hommes politiques de ce type puissent vraiment être de bons gestionnaires. Soucieux, avant tout, de leurs intérêts personnels, ils sont appelés, un jour ou l’autre, à négliger, voire à nuire aux intérêts des communautés dont ils ont la charge.
De plus, une telle complaisance délie le monde politique d’une obligation de moralité alors même que les hommes politiques ont plus que tous autres un devoir d’honnêteté. Il leur appartient de montrer l’exemple, de ne pas trahir la confiance du peuple. Je partage l’avis qu’aucune immunité ne devrait leur être accordée et qu’en cas de manquement à ce devoir d’honnêteté, ils devraient être traduits en justice et en subir toutes les rigueurs.

Au termes de ces diverses analyses, je suis convaincu que le relâchement des liens entre morale et politique est porteur d’incontestables dangers.
Si l’on veut que la complaisance que je viens d’évoquer recule, que l’aversion d’une partie de l’opinion publique pour la politique se nuance et régresse, que l’opinion publique en vienne à accorder une pleine confiance au milieu politique, que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts particuliers, il importe que ce milieu abandonne certaines pratiques délictueuses, bref, que morale et politique forment un tout indissociable.

Atteindre un tel objectif n’est assurément pas facile. Cependant sans prétendre offrir ici des solutions toutes faites ou définitives, qu’il me soit permis d’énoncer ci-dessous quelques mesures de simple bon sens de nature me semble-t-il à réconcilier, dans une certaine mesure, morale et politique à savoir :
- inviter le monde politique à faire preuve de réserve à propos de tout jugement rendu à l’encontre d’un homme politique si ce dernier à fait appel du jugement en question.
- Abolir l’immunité accordée au chef de l’Etat, ce dernier devant être considéré, au regard de la loi, comme un simple citoyen.
- Frapper d’inéligibilité à vie tout homme politique ayant, dans le cadre de ses fonctions, commis des actes ayant entraîné un enrichissement personnel.
- Prendre des mesures dont celles présentées ci dessous en vue de faire en sorte que la politique ne soit plus une carrière mais une vocation
- Limiter le nombre et la durée des mandats.
- Limiter à une fois la possibilité de renouveler la plupart des mandats.
- Prévoir des possibilités de reclassement dans d’autres domaines pour les hommes politiques qui pourraient en avoir besoin après cessation de leur activité politique.
- Prendre des initiatives dans certains cadres politiques pour associer les populations à la prise de décisions les concernant directement. A titre d’exemple les municipalités pourraient inviter les comités de quartier ou d’autres associations à certaines délibérations.

Au total, il n’y a pas lieu, me semble-t-il, de trop noircir le tableau. Les affaires, quand bien même mettraient-elles en cause des personnages de haut rang, ne doivent pas nous conduire à considérer que la politique est gangrenée de toutes parts, que le problème est sans solutions. Il reste, cependant, vrai que des mesures ou des initiatives doivent être prises pour resserrer les liens, par trop distendus à notre époque, entre morale et politique.
Cela permettrait de donner de la politique une image plus séduisante. Nos compatriotes retrouveraient le goût de la politique, comprendraient qu’elle n’est pas l’affaire des seuls initiés, qu’il leur appartient aussi de s’y impliquer et d’apporter par là, pour le plus grand bien de notre pays, leur contribution à l’édification de son avenir.
Faites moi part de vos commentaires